“Le voyage c’est d’aller de soi à soi en passant par les autres“.
En préparant cet article sur la trahison, je lis ce proverbe Touareg.
De prime abord, cette vérité paraît éloignée du sujet. Cette sagesse raisonne avec mes réflexions. que je souhaite vous partager autour de la trahison.
Quel lien ? C’est un vaste sujet contenu dans un seul mot. Le mot trahison est connoté, chargé comme nous le verrons. Prenons le temps d’ouvrir l’espace à ce mot.
La trahison, une blessure
A qui s’intéresse aux blessures de l’âme, la trahison figure parmi celles du rejet, de l’abandon, de l’humiliation et de l’injustice. Toutes parlent du ressenti douloureux dans le lien à l’autre.
Dans les faits, la blessure (la trahison, l’abandon…) s’est produite ou non. La souffrance se vit comme si il avait eu lieu. Chaque évènement de vie peut potentiellement faire revivre sa blessure, celle(s) que chacun(e) porte(nt) en soi.
Chaque traumatisme s’inscrit dans le lien à l’autre. En réalité elle parle surtout du lien que nous entretenons à nous même. (il faut le temps pour percevoir et réaliser sa responsabilité face à sa blessure).
L’étymologie de trahison
Avant d’aller explorer plus en avant ce que vient dire la trahison, cherchons d’abord un éclairage dans la racine du mot.
Trahison, trahir, dans son origine latine (tradere) indique livrer, corrompre par la bouche. Mais aussi une indication de transmission, de donner, avec l’idée d’un passage, d’un mouvement. Le mot trahison se rapproche de transgressum. Il signifie dépasser quelque chose, un point, un accord avec la connotation d’enfreindre, outrepasser.
En effet, la trahison porte en elle-même la transgression. Elle peut être un pacte, un accord tacite ou implicite. (Nos accords tacites sont très nombreux car pris dans le répertoire des logiques et des croyances de chacun).
Ces indications étymologiques sont déjà très éclairantes pour saisir le mouvement même de la trahison.
Pourquoi la trahison est-elle si douloureuse ?
Comme écrit plus haut, par l’acte de trahison, il y a l’idée de livrer autrui, abimer l’autre par la bouche/parole.
Quand elle se produit elle est un tranchant dans le lien. Portant un coup à la confiance, le don de soi à l’autre, à l’engagement. (Qui peut être une entreprise, un groupe d’amis, son/sa partenaire…). Elle arrache la subtilité, la beauté, le tact contenu dans un lien.
La trahison dénude. Elle touche la part sensible d’humanité, notre façon de nous sentir humain, sujet avec l’autre.
Car, nous sommes tous dépendants, inter reliés aux autres et ce depuis notre conception. Sans l’autre, sans le don de notre être, puis de notre parole, point de vie possible. Au fur et à mesure que nous grandissons, se lier à l’autre est garant de repères. Nous avons besoins d’orientations dans la vie et d’appartenances à des valeurs, des traditions, des codes (familiaux, culturels, sociaux…). A tous les endroits de la vie, nous en passons par le don de soi, via notre confiance accordée à autrui. Puis nous confions à l’autre nos opinions, nos états d’âmes, notre foi …
La trahison ou son ressenti vient alors toucher un point majeur dans la relation à l’autre. La partie de soi donnée et aussi créée avec l’autre. Elle est le coup d’épée dans le pacte réel ou imaginaire. (un contrat de travail, un lien amical ou amoureux réel ou fantasmé…).
Dans la traversée de cette épreuve, bien souvent une violence silencieuse ou bruyante s’abat sur notre être, sur soi.
La trahison engendre une rupture
la trahison porte en elle la rupture. Et ce même si le lien demeure. (Par ex, quand on ne peut sur le moment faire autrement que continuer son travail ou rester avec son/sa partenaire). La coupure opérée par la trahison, est de fait.
Quelque chose dans le lien mais aussi surtout en soi est entachée et ne peut plus être.
Ce qui est atteint concerne probablement notre condition humaine, d’être faillible. Et vient réveiller nos peurs et mémoires archaïques.
Le visage étranger de l’autre se profile dans la fissure de l’acte de trahison. Cette face étrangère ouvre à toutes les questions et peurs : A qui avons-nous eu à faire ? Que veut cet autre ? À quoi ai-je servi ? …
Cette personne qui apparait brutalement sous la figure du traite nous renvoie à la douloureuse place d’objet. (de celui/celle qui nous livre, s’est servi de nous à dessein…). En effet, la trahison vient percuter ce point d’existence, de se sentir sujet. se ressentir soi, reconnu par l’autre. Et cet autre nous confère en retour une place (l’ami, l’amoureux, le collègue, président d’association…).
La trahison et la perte
Dans un lien trahit, corrompu, c’est donc aussi de notre place dont il est question. Car dans ces moments éprouvants, il y a le ressenti de la perte. Non seulement une confiance meurtrie, trompée mais aussi une perte de sa propre place. Nous avons tous besoin d’avoir et d’occuper des places dans la vie. (Du frère ou de la sœur, du voisin, de sa profession…). Trahir propulse sur l’interrogation existentielle de sa place d’humain, de sujet et de sa valeur. La trahison fait vaciller les repères. Etre trahi emprisonne dans le spectre d’avoir servi à l’autre, d’avoir été l’objet de. Trahir entraine une chute du sujet vers une position d’objet.
Ce point a évidemment des résonnances selon l’histoire de chacun. Néanmoins, être ou se sentir en position d’objet ramène à la servitude et une certaine privation.
La trahison est-elle évitable ?
Le lien que nous construisons et entretenons avec autrui est d’emblée affecté d’attentes, de projections, d’attachements… parce que nous sommes humains et de grands dépendants ! De fait par notre immaturité physique et psychique à la naissance. Mais ce mouvement de « dépendre » de l’autre reste inscrit et le plus souvent déséquilibre le lien.
Aussi quand l’autre répond autrement à nos attentes ou fait d’autres choix que les nôtres, nous ressentons possiblement de la déception, de la tristesse, du rejet, de la colère… et pouvons le vivre comme de la trahison.
De même que nous pouvons « trahir » en étant en lien avec des groupes aux idées divergentes. Par exemple les valeurs de mon entreprise entrent en collision avec les valeurs de ma famille… Est-ce que je trahis mes valeurs familiales, voir moi-même en consentant à travailler dans cet établissement ? Vais-je trahir les codes de mon métier en suivant mes valeurs personnelles ? Dans ce type de questionnements, le point de la loyauté se profile. La loyauté nous entraîne aussi dans le sillage de la culpabilité.
Nous sommes pris entre deux valeurs, des idéologies divergentes et des choix possibles. Le conflit de loyautés se trouve à tous les carrefours de nos vies.
J’aime beaucoup cette approche des loyautés de Delphine De Vigan dans son roman Les loyautés que je vous partage :
« Les loyautés. Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres – aux morts comme aux vivants -, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires. Ce sont des lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans. Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves. »
Delphine De Vigan dans son roman Les loyautés
Je rajouterai … On passe sa vie à se remettre de son enfance.
Et la trahison de soi ?
Comme nous l’avons évoqué, les trahisons sont inhérentes au lien avec l’autre et donc avec soi-même en retour. En effet, le lien que nous entretenons avec l’autre fait retour sur soi et est, d’une certaine façon, notre position avec nous-même. L’histoire qu’on entretient entre soi et soi, ce que l’on répète, par le biais de nos propres trahisons.
Nombreux peuvent être les moments de vie ou nous manquons à notre parole, à nous-même. A bas bruit, au nom du bien et de la raison, de la conformité aux attentes de l’autre, résidus de l’éducation et de la culture. Aussi, il arrive que nous nous perdions nous même, aveuglément à suivre un corpus d’idées, de valeurs qui nous éloignent de nous, par peur d’être exclu. L’effacement de soi au profit du maintien d’un groupe d’amis, de loisirs…, de son intégration dans une entreprise…
Derrière ces choix prudents, raisonnés, il y a la peur. Nous entretenons nos peurs, en les argumentants du quotidien dans lequel nous nous retrouvons et dans lequel nous nous plaçons. La plus grande peur ou angoisse de l’homme concerne la mort, sa mort. Angoisses archaïques remontant à ces heures oubliées où sans l’autre, nous ne pouvons vivre, survivre. Elles se déclinent dans nos vies par la peur de manquer (de travail, d’argent, de se retrouver seul et malgré tout rester dans une relation douloureuse…), d’être exclu…
Nous rentrons alors, dans la demande, la volonté de l’autre pour ne pas perdre la vie et son amour. On peut passer beaucoup de temps dans sa vie à attendre la reconnaissance. Cet insatiable besoin. Confondant, souvent par ignorance, amour et dépendance. Soit la soumission à un amour conditionné, au détriment de son véritable être.
En se trahissant, on se délaisse en route
On se délaisse en route, se pliant aux supposés attentes de l’autre. Qui sont aussi nos croyances et notre propre réalité construite.
On se quitte soi-même pour ne pas que l’on nous quitte. Cette phrase illustre parfaitement ce glissement de nous-même (que vous trouverez dans l’introduction du livre « Les trahisons nécessaires de Nicole Prieur, philosophe et thérapeute).
Nous nous déboussolons, nous égarant loin de nos aspirations, de nos désirs.
De cet effacement de soi, naissent des vies tourmentées par le sens. Sans désirs ni projets, l’épuisement, le burnout qu’il soit professionnel ou familial…
Pour paraphraser Paulo Goelho, lorsque nous disons oui aux autres, avons-nous bien vérifié que nous ne nous sommes pas trahis ? En disant non à ce qui est important pour soi, à ce qui parle de soi ? Sommes-nous bien alignés avec nos désirs, nos besoins, notre vie ? La réponse peut-être floue quand on ne sait pas ou plus entendre qui nous sommes à force d’obéissances. A force de s’être modelé à l’environnement comme on nous l’a appris ou encore comme nous avons cru qu’il fallait faire pour exister et surtout être aimé.
Aussi parfois, il arrive de ne pas savoir ce qui nous passionne. D’en avoir perdu la trace en cours de route, au fil de la vie.
Trahir pour ne pas me trahir ?
La trahison est inévitable. Nous ne pouvons être à la place où l’autre nous assigne ou répondre exactement comme l’autre le veut ou l’espère. Aussi malgré nous, nous trahissons (toute proportion gardée) pour vivre nos choix, notre propre vie.
Penchons-nous sur cette autre réflexion de Nicole Prieur « Trahir pour ne pas me trahir ».
Ce point est une position essentielle et éthique de soi.
Je la relis à la position de Jacques Lacan (psychiatre et psychanalyste) dans sa formule « de ne pas céder sur son désir ». Dont il écrit ceci :
« Je propose que la seule chose dont on puisse être coupable, au moins dans la perspective analytique, c’est d’avoir cédé sur son désir. (…)Faire les choses au nom du bien, et plus encore au nom du bien de l’autre, voilà qui est bien loin de nous mettre à l’abri non seulement de la culpabilité mais de toutes sortes de catastrophes intérieures ? (…). Ce que j’appelle céder sur son désir s’accompagne toujours dans la destinée du sujet – vous l’observerez dans chaque cas, notez en la dimension – de quelque trahison. Où le sujet trahit sa voie, se trahit lui-même, et c’est sensible pour lui-même. Ou plus simplement, il tolère que quelqu’un avec qui il s’est plus ou moins voué à quelque chose ait trahi son attente, n’ait pas fait à son endroit ce que comportait le pacte »
Ici réflexions philosophique, psychanalytique pour déplier cet autre point de la trahison, elle est inéluctable et nécessaire. Ainsi, la charge de ce mot peut s’alléger quelque peu, si nous l’étirons à l’idée d’un passage. L’idée d’un mouvement, de dépasser quelque chose.
Et si la guérison tenait dans cette aptitude… à désobéir aux injonctions explicites ou non de la société, aux codes familiaux, aux carcans ?
Un franchissement à l’intérieur de soi
Lorsque nous commençons à faire nos choix en conscience de soi, c’est-à-dire ne plus céder sur ses désirs. Cela n’a rien à voir avec une position égoïste. (telle que nommée et transmise comme une mise en garde dans l’éducation ou la religion). Cette position est un grand respect de soi, responsable. Position éthique. Sans plus faire porter à l’autre nos attentes et qu’ainsi nous délivrons du rôle dans lequel nous l’attendions et l’enfermions.
La trahison n’est plus de l’ordre de la tromperie, de la délation (qui est le niveau bas). Le sens de la trahison est ailleurs, se dévoile dans un autre niveau de conscience.
Elle atteint ici une libération, quand elle s’origine dans une autre compréhension de la vie (niveau sage, spirituel) et l’amour.
Evidemment, sur nos chemins, nous rencontrerons toujours des épreuves, ferons des expériences désagréables, comme celles de la trahison. C’est bien souvent par le biais d’épisodes confrontant que l’acte de se déplacer s’impose à soi, à l’orée de l’épuisement ou après la traversée des nuits noires de l’âme. Rappelons nous que nous apprenons dans l’épreuve car nous sommes sourds la plupart du temps à nos propres savoirs, connaissances.
Alors Le voyage c’est d’aller de soi à soi en passant par les autres … est-elle la part de sagesse de la trahison ?